NIGERIA, LE RETOUR
Mon retour au Nigeria est similaire au premier voyage moins la surprise. Je promène autour de moi un air blasé qui me paraît être l’attitude convenue d’une ancienne à son deuxième voyage, auréolée de mon succès au centre. Cette fois, on est venu me chercher. Ca tombe bien car malgré mon air sur de moi, je suis seule aujourd’hui et je n’ai pas vraiment envie d’affronter la meute des taxis en solitaire. Puis l’hôtel. Seule, je prends plus le temps d’observer autour de moi. Pour remarquer que cet îlot de luxe au milieu de la capitale Nigériane, est rempli d’homme d’affaires qui mangent seuls en lisant un journal, pris dans le salon Air France des hommes qui voyagent en classe business. Ils ont tous l’air de s’ennuyer mortellement et ne parlent surtout pas aux autres personnes qui fréquentent le bar de l’hôtel. Combien de temps avant que je commence à leur ressembler ?
Et enfin l’aéroport, toujours aussi exotique mais dont l’effet a déjà un air connu. Cette fois, aucun de mes collègues n’a fait le déplacement mais un chauffeur m’attend à l’aéroport de Warri.
Mais ce ne sont pas là les seuls changements. Enfin j’ai passé la fameuse épreuve initiatique qui permet de parler le langage du groupe. Enfin j’arrive à participer aux conversations à table, enfin on arrête de brandir devant moi l’épouvantail du centre. Aujourd’hui j’ai prouvé que j’ai le droit d’être ici. J’ai gagné mes galons et ils m’acceptent comme un ingénieur, femme peut-être, mais ingénieur avant tout.
Même s’ils poussent parfois la plaisanterie un peu loin. Régulièrement, la base organise des soirées avec les clients et leurs femmes. Quand je me lève à l’annonce : « Mesdames, le dîner est servi », mes collègues me disent : « Mais non, Magali, pas toi, tu es un ingénieur ! » On va dire que c’est un compliment ! Il est vrai que je me sens beaucoup plus proche d’eux que des femmes d’expatriés avec qui je peine à trouver des sujets de conversation communs. Au début, je me faisais un devoir de tenter de m’intégrer au groupe des femmes, mais sans même un enfant pour alimenter le dialogue, je me sens rapidement isolée Et je fais de moins en moins d’efforts, me contentant bientôt de rester avec mon groupe et évitant de m’aventurer vers ce monde inconnu que représente l’univers des femmes mariées, mères de famille.
Peu de temps après mon arrivée, le chef de base me convoque. Quand je rentre dans son bureau, je suis un peu impressionnée. C’est la première fois que je rentre dans le saint des saints. Il est en train de consulter mon dossier et regarde l’appréciation du centre de formation. Aie aie aie.. je lui dis timidement bonjour, attendant l’orage. S’il ne commente pas sur mon manque de féminité, il se croit obligé de me faire un cours de morale sur l’importance de l’organisation dans notre métier. Tout au long de cette entrevue, il est resté assis derrière son immense bureau, entièrement recouvert de piles de papiers avec un espace juste suffisant pour écrire. J’arrive à grand peine à me retenir de rire et lui promet de suivre son exemple scrupuleusement.
Le retour aux opérations correspond au début du troisième volet de la formation. Je dois travailler en doublé avec un ingénieur confirmé jusqu’à être capable de voler de mes propres ailes, consécration suprême validée par le test final. Cette phase dure environ quatre mois, puis il ne nous restera plus qu’à retourner à Parme peaufiner nos connaissances. Alors seulement aurons nous le droit à l’appellation de FE (Field Engineer = Ingénieur Terrain) et non plus de Trainee (stagiaire) qui me colle à la peau aujourd’hui. Consécration finale de douze mois d’efforts.
Mon tuteur est toujours le même, Mani. Il a une mémoire prodigieuse et se souvient mieux que moi de ce qu’il a appris au centre de formation il y a cinq ans quand je viens de le quitter. Son contact a pour effet immédiat de me rappeler les bienfaits de l’humilité et de dégonfler cette tête qui a tendance à prendre quelques libertés depuis que j’ai fini le centre.
A chaque ingénieur est assigné un rig qu’il suit en permanence et auquel il n’est infidèle que le temps de remplacer un autre ingénieur en congés. Comme on y passe plus de la moitié de son temps, on le considère comme sa deuxième maison. On l’organise, on le personnalise, on y a ses habitudes et la comparaison avec une maîtresse est à peine exagérée. Plus encore qu’à la base, l’ingénieur est en charge et, sans collègue ni chef à bord, est libre de mener les opérations à sa guise. Quand on remplace un ingénieur, on prend garde à ne pas trop déranger son « chez-lui ». La tenue d’un rig en dit beaucoup sur son occupant. Celui de Mani s’appelle Trident VI, nous y allons une semaine après mon arrivée. Ce rig appartient à une compagnie française et cinq compatriotes se trouvent à bord pour en assurer le bon fonctionnement.
Mon arrivée a son petit effet, comme toujours au premier voyage, mais cette fois je me sens beaucoup plus sûre de moi car je suis ici pour effectuer un travail que je connais et je suis une professionnelle. Ils ne sont pas supposés savoir que je ne suis pas encore confirmée.
Ils me donnent la chambre V.I.P et je partage la salle de bain du patron. Je pense bientôt m’atteler au guide Michelin des chambres VIP du Nigeria. Celle-là est tout à fait acceptable.
Evidemment, ce qui devait arriver arriva, deux jours après, une personnalité monte à bord. Dilemme.
Le boss refuse de me mettre dans une chambre mixte, bien que la première concernée, moi, lui assure n’y voir aucun inconvénient. Je suis obligée de rentrer à terre le soir même pour ne revenir que le lendemain matin alors que nous devrions commencer à travailler dans la nuit. Mes protestations n’y changent rien. De toute façon, il sait très bien que Mani n’a pas vraiment besoin de moi. Je suis en rage mais obligée de m’incliner, faute de trouver les arguments convaincants.
Au deuxième voyage, la nouveauté commence déjà à s’effriter. Deux mois plus tard, je reviendrai quand Trident VI est plein et je partagerai ma chambre avec trois hommes, sans que cela ne choque personne.
Sur le rig, ma vie est semblable aux autres à quelques exceptions près. Tout le monde ici m’a acceptée et nous nous sommes adaptés les uns aux autres, avec quelques concessions.
Le blanchisseur refuse de toucher aux sous-vêtements féminins. Je dois les laver à la main. Ce qui n’est pas un réel problème, je ne suis pas sûre que les petites dentelles supporteraient le lavage en machine industrielle au milieu des cotes de travail.
Mais après laver, il faut sécher et là, les choses se corsent. C’est ainsi que le chef du rig, pénétrant dans ma chambre, se retrouva le nez dans mes soutiens-gorges. Aux dernières nouvelles, il ne s’en serait toujours pas remis. Une autre fois, je devais expliquer à travers la radio écoutée par le tout Warri où retrouver mes petites culottes que, dans la précipitation du départ, j’avais oublié en train de sécher sous mon lit.
De mon côté, j’exige qu’ils changent de vidéo quand je rentre dans la salle de repos et qu’ils regardent un film que la décence m’interdit de décrire ici.
L’autre endroit où je ne peux pas à ignorer mon statut de femme est le hélideck (aire d’atterrissage de l’hélicoptère) à l’heure de la sieste bronzette. Les hommes remettent leur caleçon la première fois que j’y apparais, mais retrouvent leur habitude de nudité dès le troisième jour alors que moi je dois rester habillée de la tête aux mollets, sous peine de provoquer un accident ! La vie est trop injuste.
En contrepartie, ils sont tous aux petits soins avec moi et mes désirs sont presque toujours des ordres.
Dans l’ensemble, ma vie est plutôt agréable à bord ; j’ai même pris l’habitude de ces têtes qui se tournent et des conversations qui s’arrêtent à mon arrivée dans le restaurant.
Au troisième voyage, Mani est obligé de rentrer en ville, appelé sur une autre plate-forme. Nous n’avons pas encore fini mais ce qui reste ne devrait pas poser de problème, même pour une novice.
Je l’accompagne jusqu’à l’hélicoptère, recueille ses dernières recommandations et reviens à notre unité de travail légèrement angoissée par les nouvelles responsabilités qui m’incombent. Pour la première fois, je suis seule à bord sans la protection de mon tuteur.
Quelques minutes plus tard le téléphone sonne et un des travailleurs me propose de faire un peu mieux connaissance… afin de m’aider à combler ma solitude nouvelle maintenant que mon confrère est parti.
Très calmement, je lui réponds que je vais raccrocher le téléphone et oublier cet appel mais que si cela se renouvelle ou si lui ou un autre de ses confrères tente d’autres approches à mon égard, je me verrais dans l’obligation d’en informer le chef de la plate-forme et de m’assurer du renvoi immédiat de l’importun. Je suis énervée maintenant et j’en oublie mon trac.
Les nouvelles vont vite dans cet univers clos où tous cohabitent plus ou moins heureusement et je ne devais plus jamais recevoir de proposition ambiguë de mon temps au Nigeria.
L’expérience me prouva que j’avais eu raison, sous les traits d’une jeune stagiaire venue passer un mois avec nous. Après quelques jours elle part sur le rig pour un voyage initiatique. à son retour elle me raconte qu’elle recevait une moyenne de trois à quatre lettres d’amour quotidiennes. Elle ne ressemble pas vraiment à quelqu’un qui a l’habitude de recevoir ce genre de courrier à cette fréquence, mais par gentillesse, elle n’a pas osé repousser avec fermeté les avances des travailleurs de la plate-forme. Ils ont pris cette attitude pour un encouragement. Heureusement que son séjour est de courte durée car cette situation pourrait rapidement devenir intenable et entraîner des quiproquos difficiles à résoudre.
Je n’ai jamais eu à souffrir de cela mais il faut dire que ma gentillesse naturelle est enfouie sous une large dose de cynisme.
Le reste de la mission se passe sans autre incident et je redescends en ville trois jours plus tard, fière d’avoir réussi cette première qui passe complètement inaperçue auprès des ingénieurs chevronnés.
En dehors du travail, une sorte de routine s’est instaurée. Tous les soirs, nous allons directement boire un verre dans un bar local, le « Beach Comber ». Nous faisons maintenant tellement partie du décor que nous amenons régulièrement nos propres cassettes de musique (l’ère du C.D. n’est pas encore parvenue jusqu’ici). Il n’est pas rare de voir de jeunes hurluberlus en bleu de travail et bottes de sécurité en train de se déchaîner sur un rock endiablé.
Une femme en bleu de travail se fait plutôt remarquer mais blanche et en train de danser dans un petit bar local au fin fond de l’Afrique, on atteint rapidement le statut d’extraterrestre.
Après l’apéritif, nous rentrons au camp nous rendre présentables, c’est pour moi l’heure du bain et d’une demi-heure de relaxation totale pendant laquelle j’arrive à oublier où je suis. Peut-être le seul moment où je me sens vraiment femme. Je fais parfois quelques efforts de maquillage quand nous sortons, mais continue à m’habiller de manière assez masculine. Ah, ces relents d’école d’ingénieurs où le jean est quasiment obligatoire, ont du mal à s’estomper !
Puis dîner dans la salle commune où nous nous retrouvons tous autour de la grande table et où l’ambiance est si bonne que nous finissons rarement avant 10 heures.
Le reste de la soirée se termine parfois tranquillement au camp à jouer au billard entre nous, mais plus fréquemment au bar puis à la boite de nuit locale, lieu de rencontre privilégié des expatriés en recherche ou non de compagnie féminine. Nous réussissons à maintenir ce rythme de vie grâce à de fréquents voyages sur la plate-forme où sans sortie ni alcool, nous pouvons rattraper le sommeil en retard et nous refaire une santé.
Je commence à nouer des liens assez complexes avec les autres ingénieurs. Je suis une des leurs au travail, mais je suis une femme, donc semblable à ces jeunes filles qui alimentent régulièrement nos conversations à table, pourtant je suis un être pensant, ce qui peut paraître légèrement surprenant venant du sexe faible.
Rapidement ils se rendent compte que je ne m’émeus pas spécialement des allusions fréquentes et en termes parfois assez précis aux relations qu’ils entretiennent avec le beau sexe. Ils prennent donc de plus en plus de libertés verbales devant moi et en arrivent à complètement oublier ma présence dans leurs conversations.
Cependant, ils se tournent également parfois vers moi pour un conseil pratique sur l’attitude à adopter avec la femme de leurs rêves. Ou du moins des rêves du moment.
Je suis donc la petite sœur qu’il faut protéger pendant les sorties, l’égale au travail et la maman qui donne des conseils. Autant dire que cette situation compliquée ne m’aide pas à résoudre mes propres problèmes existentiels de définition de personnalité.
Pour ne pas simplifier la situation, un des ingénieurs devient mon petit copain. Il ne s’agit pas d’une histoire d’amour avec le grand A mais d’une petite histoire sympathique avec quelqu’un qui me plaît bien. Nous avons beau travailler ensemble, il s’avère rapidement que nous n’avons pas les mêmes conceptions de la vie en général et de la place de la femme dans la société en particulier. Ah la dure réalité des différences culturelles qui ne s’estompent pas même à des milliers de kilomètres de nos origines respectives.
Puis j’apprends un jour que cet homme délicat profite de mes missions pour ramener régulièrement des jeunes filles que nous appelons ici Bush-Baby et qui, contre faible rémunération, agrémentent les nuits des expatriés esseulés. Je ne suis pas particulièrement partageuse en général mais encore moins avec des femmes dont l’hygiène n’est indubitablement pas le point fort et qui peuvent transmettre un certain nombre de maladies dont je ne veux pas me faire la dépositaire. Je me lasse rapidement de cette situation et je provoque bientôt la rupture.
Est-il finalement plus sentimental qu’il ne le paraît ou est-il vexé de ne pas avoir pris l’initiative ? Toujours est-il que le voilà transformé en amoureux transi et repentant, à faire le siège de ma maison le soir et à informer le monde de son infortune. Cette situation est plutôt pénible à vivre au quotidien, surtout qu’avec ses antécédents, j’ai du mal à prendre sa douleur incommensurable au sérieux.
Mes collègues ne sont pas très compatissants au sujet des cœurs brisés ayant chacun une fiancée abandonnée ou qui les a abandonnés, au pays. Les mésaventures de mon ancien dulciné reçoivent peu d’écho de leur part et ma réputation ne souffre pas de ce contretemps. Quand il en est à menacer de démissionner car il ne supporte plus de me côtoyer au quotidien, nous avons une discussion sérieuse au cours de laquelle je lui explique que non seulement il n’allait pas me récupérer et mais encore il perdrait ce job qu’il adore. Je lui conseille de partir en vacances comme prévu et d’en profiter pour faire le point avant de prendre une décision.
En conclusion, il rencontra une princesse qui le sauva de la déprime, ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants (cette fin heureuse est sortie de mon imagination mais elle cadre bien à ce moment de l’histoire).
Je tirerai deux leçons de cette aventure, tout d’abord je dois être plus discrète et surtout règle d’or, ne pas mélanger travail et sentiments à fortiori quand il n’y a pas de sentiment.
En dehors de mes collègues, je me suis liée d’amitié avec des personnes rencontrées à notre bar favori. Le fréquentent des habitués qui travaillent dans des domaines aussi variés que la construction, les travaux publics et le pétrole.. Et surtout les bush-babies.
J’ai de la tendresse pour ces jeunes filles qui font commerce de leur corps sans être de réelles professionnelles. Elles sont à la recherche de celui qui leur offrira le bonheur ou au moins le mariage, et les sortira de leur condition. Les sentiments font partie de cette relation et si elles se font payer, c’est plus pour vivre en attendant de trouver la perle rare que pour faire fortune.
La première fois que j’ai pénétré dans la pénombre de la seule et unique boite de nuit de Warri, j’ai senti tous les regards tournés vers moi et les conversations s’arrêter. J’essaye de garder une certaine contenance, mais je ne suis pas sûre de faire illusion. Je n’arrive pas à déchiffrer les regards masculins qui me suivent. Je ne dois pas être dotée de cette faculté innée aux femmes qui hantent la littérature rose. Les bush-babies ont l’avantage de jouer franc-jeu. Elles sont tout d’abord intriguées par la présence d’une femme blanche qui n’arrive pas pendue au bras de son mari, peu rassurée, craignant peut-être d’être attaquée en plein bar ou de voir l’une de ces jeunes filles embarquer son mari contre son gré (quoi que).
Moi, je fais partie d’une race à part de femmes qui sont ici pour travailler. Nous sommes au total une dizaine à Warri dont huit professeurs d’une école primaire hollandaise travaillant pour une grande compagnie pétrolière et une autre ingénieur. Mais les « autres » sortent peu et ne sont pas connues de la faune locale.
Ensuite, les bush-babies essayent de découvrir lequel de mes collègues est mon compagnon. Tout va bien jusqu’à ce qu’elles réalisent que je suis célibataire et donc compétition potentielle. Alors, elles me redoutent et certaines, me jugeant trop menaçante, décident de me jouer quelques tours pendables qu’heureusement on m’aidera à contrecarrer.
Ces femmes ont des habitudes de survie loin de mon monde confortable. Elles peuvent être très dangereuses. Il ne faut jamais jouer au plus fin avec elles, leurs réactions peuvent être aussi violentes qu’imprévisibles. Les règles du jeu sont claires mais il faut les assimiler rapidement, ne pas faire de faux pas pour éviter les ennuis. Dans les clauses de rupture de contrat, la venue de la légitime est en bonne position. Et c’est cette excuse qu’à employée un expatrié pour arrêter sa relation avec sa compagne habituelle, alors qu’il souhaitait tout simplement changer de partenaire. Quand elle a découvert le pot aux roses, elle décida de se venger et l’attendit un soir à la sortie du club pour lui découper superficiellement la face à la lame de rasoir. Une centaine de points de suture plus tard, ses jours ne sont pas en danger mais il abhorre maintenant un étrange air de famille avec Frankenstein..
Petit à petit, je bâtis mon réseau et je me tiens informée des mauvais coups en préparation, allant jusqu’à intercéder en faveur des imprudents. Quand j’apprends que des malveillantes sont en train de faire circuler une rumeur sur mes relations soi-disant non platoniques avec le régulier d’une bush-baby, je prends l’affaire très au sérieux. Je n’ai pas du tout envie d’affronter la colère d’une fille dangereuse. Je décide d’attraper le taureau par les cornes et de lui parler directement pour éclaircir ce malentendu (à elle, pas au taureau). Heureusement qu’elle choisit de me croire et nous devenons les meilleures amies du monde.
Rapidement je fais connaissance avec les plus anciennes d’entre elles qui ont somme toute décidé que je n’étais pas une menace. Elles aiment montrer à leurs conquêtes masculines qu’elles ont la tête suffisamment bien faite pour être liées à une femme blanche, laquelle ne peut pas être soupçonnée de les apprécier pour leurs avantages annexes.
Un jour, je suis avec un collègue et son amie. Il est plutôt du genre papillon mais pour la première fois semble assez attaché à cette jeune fille. Seul petit inconvénient, elle n’est pas de Warri. Le territoire de chasse est gardé et dès notre arrivée dans la boite, nous sentons un certain malaise. Un papillon épinglé est déjà une mauvaise nouvelle signifiant une perte non négligeable de business, mais par une étrangère en plus. Quelques minutes plus tard, nous la voyons avec plusieurs bush babies se diriger vers les toilettes, tout en ôtant leurs bijoux. ça sent le roussi. Mon collègue me demande d’aller voir ce qui se trame pendant que lui-même prévient la direction. Je me dirige vers les toilettes l’air aussi naturel et dégagé que possible. Toutes les filles sont là, en cercle, la fiancée au milieu. Elles grondent et ce n’est plus qu’une question de secondes. L’air toujours nonchalant, je me poste délibérément au milieu, aux côtés de la future victime, croisant les doigts en espérant que l’estime que portent mes copines à notre amitié est plus important que la haine qui se dégage actuellement. Elles n’attaquent toujours pas mais me demandent de ne pas me mêler d’une affaire qui ne regarde qu’elles. Je n’en mène pas large mais j’arrive à temporiser suffisamment longtemps pour permettre l’arrivée de la direction qui vire tout le monde. Inutile de dire que nous sommes rentrés à la base sans demander notre reste.
Paradoxalement, les bush-babies me présentent à tout nouvel expatrié « blue fish » de Warri. Et les hommes confus qui se demandent qui peut bien être cette femme blanche tellement à l’aise au milieu de ce groupe de call girls.
Exemple de conversation avec un Anglais au physique de jeune homme de bonne famille :
Bush-Baby :Bonjour, Lui, je te présente mon amie Magali
Lui : Bonjour.
Moi : Bonjour, comment ça va ?
Lui : Bien et toi ?
Moi : Bien, merci.
Lui : Tu habites à Warri ?
Moi : Oui, et toi ?
Lui : Oui, moi aussi. Veux-tu rentrer avec moi ce soir ?
Moi : Non, ça ne m’intéresse pas.
Pour le coup, je suis estomaquée, sans voix sous l’effet de la surprise. Mais après quelques minutes de réflexion et surtout après avoir digéré cette proposition pour le moins irrespectueuse, je me dirige vers Lui qui s’est déjà éloigné.
Moi : Dis-moi, ça fait combien de temps que tu es arrivé au Nigeria ?
Lui : Quatre jours.
Moi : Tiens, c’est bizarre !
Lui : Pourquoi ?
Moi : Normalement ça prend un peu plus longtemps pour devenir comme ça.
Lui, interloqué : Que veux-tu dire ?
Moi : Imagine-toi. Tu es dans un pub à Londres, tu fais connaissance avec une jeune fille. Tu lui proposes de rentrer avec toi après trois minutes ? Ca va bien dans le tableau ?
Lui : Non, mais…
Moi : Et que viens-tu juste de faire ?
Lui réalisant l’énormité de sa bévue commence à bégayer en changeant de couleur avant de s’enfuir aussi vite que possible. Lui passera le reste de la soirée à s’excuser auprès de mes amis et je dois avouer que je prends un malin plaisir à répandre cette histoire dans le cercle des expatriés, surtout aux rares occasions où il Lui arrive encore de sortir : « Tu ne me dis plus bonjour ? Alors que la dernière fois tu essayais de me draguer en deux minutes ? » ; sorties qui se sont rapidement espacées.
Les anecdotes de ce style m’arrivent régulièrement mais j’ai appris à les aborder avec humour et philosophie sans oublier de ridiculiser les auteurs de ces aimables plaisanteries. Je ne me sens pas l’âme d’une justicière mais je pense qu’il est utile parfois de rappeler quelques leçons de savoir-vivre. Je suis prête à parier que Lui n’a plus jamais manqué de respect à une femme, dans quelque pays que ce soit. Il faut avouer qu’au final ça devient lassant ces regards qui me suivent quand je rentre dans un lieu public à cause de ma couleur de peau et de savoir que les hommages que je reçois ne sont pas dus à « MOA ».
Au tout début, j’étais flattée de recevoir tant d’attentions, pensant qu’être une femme blanche, seule dans un endroit où la force de travail expatriée est très masculine, montre une certaine force de caractère et une tournure d’esprit qui attire ces célibataires. Je réalise rapidement que leur choix se limitant plus ou moins à moi (et quelques neuf autres invisibles) ou aux bush-babies, j’attire invariablement ceux qui ont peur d’attraper des maladies avec les filles du coin ou ceux pour qui j’incarne la seule chance de bâtir une histoire d’amour réelle.
Ces derniers font partie du groupe d’hommes jeunes et célibataires qui ont peu d’opportunités de rencontrer l’âme sœur avec de trop brefs séjours au pays et la plus grande partie de leur temps au Nigeria. Je représente pour eux la seule possibilité de fonder un foyer. Je n’ai donc pas à me plaindre de propositions malhonnêtes mais plutôt de trop de propositions trop honnêtes. Et je reçois des demandes en mariage venant de personnes qui ont réussi à se convaincre qu’ils sont amoureux de moi. Evidemment, je suis LA solution incontestable pour conjuguer travail, plaisir et famille.
Je profite un peu de cet état pour juger de mon succès réel. Mais après la rencontre passionnelle avec un homme qui ne m’avoua que bien trop tard sa situation maritale, je réalise que je suis en train de jouer avec mes principes et qu’il est temps d’arrêter. Je décide d’attendre calmement l’Elu.
Je sors toujours mais arguant de l’éducation que mes parents ont essayée de me donner avec plus ou moins de succès, je n’adresse la parole qu’aux personnes qui m’ont été présentées officiellement. Je deviens maîtresse dans l’art de renvoyer ces importuns qui se croient en droit d’engager la conversation sous prétexte que je me suis isolée dans un coin du bar pour goûter un moment de tranquillité.
J’observe leur petit jeu, les paris qui sont pris, et perdus, sur qui arrivera à me parler. L’ensemble est plutôt distrayant et sans risque car je sors toujours accompagnée de mes compagnons de travail qui pourraient intervenir en cas de problème.
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